Au cœur des ruches

C’est mi-décembre que je reçois un mail de Miel Maya me disant que j’ai été accepté pour un stage en Amérique Latine portant sur le thème suivant « Possibilité d’exportation du miel bolivien en Europe sous le label du commerce équitable ».  Je ne sais pas ce qui m’attend mais je suis déjà surexcité à l’idée de ce nouveau voyage. Bien que je sois passionné d’entomologie  depuis mon plus jeune âge, je n’ai aucune connaissance en apiculture, mais le sujet m’intéresse énormément.

L’aventure commence début Février.  Après une escale à l’aéroport de Miami, j’embarque pour La Paz, la capitale économique de la Bolivie. C’est dans l’avion que j’ai mon premier contact avec les locaux. Ceux-ci me questionnent et me demandent ce que je viens faire dans un pays plus insécurisé que l’Europe (Et oui, les latinos voient l’Europe comme un paradis où tout le monde est riche et où le vol n’existe pas). Je leur réponds qu’il vaut mieux vivre dangereusement, qu’ennuyeusement. Ils en rigolent et me disent d’être prudent. Ceci dit, en 4 mois, je n’ai jamais eu une seule violence à mon égard et j’ai rarement rencontré des personnes aussi généreuses et sincères.la paz

En descendant de l’avion, je suis halluciné par le monde qui m’entoure. Des milliers de maisons faites de briques orange, dispersées dans une énorme cuve formant la ville de La Paz. Celle-ci est entourée de glaciers culminant à plus de 6000 mètres d’altitude.  La pauvreté est partout, omniprésente, à chaque coin de rue, mais j’aime l’atmosphère. elle est unique et indescriptible.

Les débuts n’ont pas été faciles. Je n’avais pas senti le mal d’altitude (appelé « soroche »)  en descendant de l’avion. (Le centre ville de la Paz est situé à 3600 mètres d’altitude, ce qui en fait la capitale économique la plus haute du monde). C’est en marchant dans les rues pentues pour la première fois que je ressens les «  joyeux effets » de l’altitude : maux de tête suivis de  glaires ensanglantés… Ceux-ci ne disparaissant pas avec le temps, je passe ma deuxième journée  en Bolivie à l’hôpital. Sous médicament et subissant le décalage horaire, je me sens comme un zombie dans les rues de la capitale.

Cependant, c’est le carnaval d’Oruro, un évènement incontournable en Bolivie. Je décide donc d’y aller. De toute façon, ça devrait passer comme me l’avait dit le médecin.  Je fais donc mon sac et m’apprête à partir. Signe du destin ou non, lorsque j’essaye de retirer pour la première fois des pesos, la machine automatique avale ma carte bancaire. Heureusement,  j’en avais deux !

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J’arrive donc à Oruro après environs douze heures de voyage en mini « bus ? ». Je me sens dans un autre monde : mon cerveau est totalement désorienté mais après quelques bières offertes par les locaux et l’ambiance du carnaval, je me sens déjà revivre et je passe un carnaval inoubliable. J’y fais de nombreuses rencontres, qui deviendront par la suite de véritables amitiés.

Après ces péripéties, mon travail commence,  je suis installé dans les quartiers sud de la Paz. Je vis chez marc et Georgina, un couple belgo-bolivien d’une générosité incroyable. MaIMG_7466crc, belge d’origine,   est installé en Bolivie depuis longtemps. Il y est arrivé en pleine guerre civile et a apporté beaucoup aux populations locales. Pour moi,  il deviendra un exemple. Lors de cette première partie du travail,  je rencontre de nombreuses associations et institutions pour constituer la partie statistique de mon dossier. Après avoir regroupé les données sur l’apiculture en Bolivie, l’étude de terrain et l’aventure commencent. Je dois maintenant rencontrer les producteurs et les différentes associations à travers le pays pour analyser le potentiel apicole du pays.

Ma vie à la Paz se termine. Ce fut une superbe expérience. J’ai pu m’imprégner de la culture bolivienne et j’ai rencontré des indigènes chaleureux et attentionnés. L’alto est la région que j’ai le plus aimé. Sans doutes pour ses vues panoramiques, sa population,  sa « dangerosité » pbolivia 2our un gringo de mon espèce, mais surtout pour son  marché hors du commun qui s’y déroule les week-ends. Aux alentours de celui-ci : des maisons en ruine avec de grands sachets plastique en guise de fenêtre (sachant que les nuits sont souvent en dessous de 0 degré), des enfants ramassent des bouteilles de plastique dans les rues  en terre battue, les mères de familles portent toute sorte de choses dans leur gros baluchon posé sur leur dos de guerrière, la fête foraine sort  d’un compte fantastique où l’on a l’impression que les boulons maintenant la structure vont exploser au prochain tour.  Bref, un monde aux conditions rudes et précaires où les gens ont toujours le sourire quand il s’agit de voir passer le blanc que je suis.

Après un mois, j’ai  tout de même envie de sortir de cette ville bruyante où les nuages de gaz noir provenant des milliers de mini bus vous maquillent le visage à longueur de journée.

Ma première destination : Caranavi. Après une longue descente sur la route de la mort ( qui porte bien son nom) , je rencontre Marcos, dans le village de Choronta ( petit village planté au milieu de la jungle des Yungas*1).  J’y apprends les différentes facettes de l’apiculture. Nous travaillons ensemble dans les ruches avec nos combinaisons d’apiculteur. La chaleur pouvant atteindre les 35 degrés : les gouttes de sueur perlent mon visage après deux minutes. Impossible de s’éponger sans être piqué par des abeilles en pleine folie

*1 : zone de transition entre  les Andes et les forêts de l’est. Zone connaissant un climat subtropical

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Je vis avec la famille de Marcos. Celle-ci est fière de défendre leur terre et la nature resplendissante qui les entoure. Ici tout est différent : on prend sa douche dans la rivière avant la tombée de la nuit, on prend le temps de faire ses activités quotidiennes, on prend le temps de se parler. Bref, on prend le temps de vivre et d’être heureux…

Par la suite, je continue mon voyage dans les départements de Cochabamba, Tarija, Sucre et Santa Cruz. Chacune de mes rencontres est différente mais pleine d’enseignement. Je rencontre des apiculteurs aux quatre coins du pays, dans les endroits les plus improbables et les plus reculés.  Que ce soit dans la Cordillera à plus de 4000 mètres d’altitude ou dans l’Amazonie, les gens dégagent la même chaleur humaine et sont fiers de partager ces journées avec moi .

J’ai apprécié tous ces moments avec les différentes communautés, mais certaines m’ont plus marqué que d’autres. Je retiens principalement mon séjour en Amazonie et celui dans la réserve de Tariquia (Département de Tarija).

L’Amazonie, pour la raison que ces terres m’ont toujours fait rêver. Baptisée  L’enfer vert  pour son inhospitalité, je la voisDCIM100GOPRO comme le paradis de la découverte et de la biodiversité. Je me sens comme chez moi sur cette pirogue de la communauté indigène Mapajo. Je contemple cette immensité verte  pendant des heures  sans jamais    m’en lasser. L’enfer vert prend tout son sens quand je décide de partir avec un jeune de la communauté pour apprendre à survivre dans cette jungle.  Les conditions sont difficiles mais cela n’a aucune importance  tellement les moments sont intenses et forts comme je l’avais espéré.

J’ai surtout envie de m’attarder sur mon expérience au sein de la réserve de Tariquia, pour la raison que l’aventure y fut omniprésente.

Tout commence dès l’arrivée dans la ville de Tarija, où j’attrape une grippe intestinale.  Par chance, j’ai le temps de me rétablir car l’entrée dans le parc avec les locaux ne se fait que dans quelques jours. Le temps que ceux-ci  vendent leur récolte de miel et rechargent des provisions. Le jour arrivé, j’attends sur le bord de la route avec Don Emilio et une partie de la communauté. Un camion doit nous charger à cet endroit. Malheureusement, celui-ci n’arrive jamais. C’est donc dans une voiture désossée que nous embarquons : les sièges sont tressés de cordes, il n’y a plus aucun plastique de protection, les fils électriques pendent un peu partout et surtout il y a des trous d’évacuation à nos pieds. Ceux-ci,  semblables à ceux d’un lavabo, ont été de grande utilité lors de la traversée de la dernière rivière menant vers la réserve.

Après un peu d’hésitation, le chauffeur se lance. Arrivé au milieu de la rivière, le moteur se bloque, l’eau monte dans la voiture, pour finalement m’arriver jusqu’au niveau de la taille. Je prends mon sac, traverse la rive et dépose le tout sur le sol.  Ensemble, nous tirons la voiture sur la rive. C’est alors que le chauffeur enlève les bouchons des trous d’évacuation afin de vider son « véhicule ». Apparemment, il était habitué à la situation.

Nous dormons ensuite sous une peau de vache en attendant le lever du soleil, annonctarija01iateur du grand départ dans la réserve.  Il est 5 heures du matin, Don Emilio charge ses ânes et les prépare pour une longue marche de 15 heures. C’est au milieu de la nuit, exténués et le ventre vide,  que nous arrivons à sa maison. J’englouti une soupe de choclo*2 et je me couche directement.
*2 : le maïs.

Le lendemain, je suis impressionné par la beauté du paysage et par ces toucans qui viennent becqueter les baies de l’arbre planté dans la propriété de Don Emilio. Cette semaine au sein de la communauté a été très enrichissante et pleine de surprises pour les habitants qui n’avaient pratiquement jamais vu de gringo entrer dans leur réserve.

Au moment de partir, je décide de passer par le chemin opposé, se terminant sur un des flancs de la montagne.  Je commence le parcours avec les talons blessés : lors de l’entrée dans le parc, nous devions traverser de nombreuses rivières ;  mes chaussures ont rétréci avec l’eau et celles-ci me cisaillent les talons (Conseil : toujours avoir une paire de sandales  de randonnée).

À mi-chemin Don Emilio fait demi-tour comme il me l’avait annoncé. Il m’indique dès lors la route à suivre. Malheureusement, le chemin qu’il m’a indiqué n’est plus visible. Je dois donc improviser un chemin à travers la jungle. Le combat commence réellement quand je sors de celle-ci et que je vois le dénivelé à grimper (ou plutôt à escalader). N’ayant aucun signe d’un éventuel chemin, je décide de suivre la rivière.  A ce stade, l’état de mes pieds ne s’est pas amélioré : mes talons sont bien écorchés et en sang, la douleur est atroce malgré la couche de bandes et de sparadraps qui les recouvrent. L’absence de chemin m’oblige plusieurs fois à rentrer dans la rivière pour escalader les nombreux rochers menant vers l’arrivée. L’épreuve est éreintante et d’une éternité indescriptible.  Après 4 heures d’ascension, trempé et vidé de toute énergie, je retrouve enfin une route serpentant la colline et menant vers le sommet. C’est en rampant que je termine cette épreuve : J’ai des crampes aux deux cuisses, je ne peux plus me tenir debout. J’arrive tant bien que mal sur la route de terre battue, coincée entre deux montagnes. Je m’effondre, je sais que l’association est déjà à ma recherche, car je suis en retard de plusieurs heures par rapport au rendez-vous  que nous avions fixé.  Je m’apprête à dormir dans un tuyau de construction délaissé en bord de route, quand soudain,  de la poussière s’élève au loin. C’est eux, Alléluia ! Ils me disent alors que personne ne prend jamais ce chemin dans le sens de la montée. A ce moment,  je comprends les rires de la communauté lorsque je leur présentais mon itinéraire de retour.  Ceci dit je prends une photo du paysage et de ma tête pour immortaliser le moment.

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C’est seulement dans la voiture que je réalise ce que je viens de vivre. C’était certainement l’épreuve la plus physique de toute ma vie, mais qu’est-ce que c’était bon ! Ceci dit, croyez moi ou non, mais en milieu de route, en direction de la ville,  l’essieu avant de la voiture explose : nous devons attendre une grue pendant une éternité afin que celle-ci nous  remorque. Mais cela, c’est une autre histoire !

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Voyager en Bolivie requiert une certaine patience ainsi qu’un certain sang- froid dû à un état des routes et des moyens de transports assez délabrés.  Je peux dire qu’en 4 mois, j’en ai vu de toutes les couleurs : chute de pierre de la taille d’un mini bus à quelques mètres de votre voiture,  panne d’essence ou autres au milieu de nulle part, barrages des routes suite à une révolution paysanne (essayez de passer et ils lancent de la dynamite sur le véhicule). De manière générale, il vaut mieux opter pour le voyage de nuit, vérifier l’état d’ébriété du chauffeur et prendre un bon somnifère : « je ferme les yeux et tout ira mieux ».

J’aimerais boucler cet article par l’une de ces journées sur les routes , qui fut particulièrement exaltante.

Je suis dans les environs de Santa Cruz, aux frontières du parc Amboró. Les pluies sont torrentielles depuis quelques jours et je dois rentrer à la ville. J’attends un Truffi*3 sur la place du village, le seul programmé pour la journée. Je m’apprête à partir, quand soudain, un camion arrive autour de la place. Il tourne autour de celle-ci et fini par s’encastrer dans l’arrière de la voiture qui doit me mener jusqu’à la ville. On m’avertit que d’autres véhicules vont partir en contrebas dans la vallée. Finalement, j’arrive à temps et suis embarqué pour me rendre vers la ville.  Après quelques mètres, Je réalise que la route va être longue. Il y a des rochers partout au milieu de la route à cause des éboulements provoqués par la pluie.

*3 taxi bolivien où trois personnes sont disposées sur la banquette avant et quatre à l’arrière.

Avant de passer le premier rocher, le chauffeur s’arrête net. Il serre dans sa main le chapelet qu’il a autour du cou et fait le signe de croix. L’atmosphère n’est pas sereine, tout le monde est concentré sur la route. Le chauffeur trace pour passer ces pièges naturels. Soudain, c’est presque le drame, un morceau de la montagne se détache juste devant nous, le spectacle est à la fois édifiant et terrifiant. Le chauffeur reprend son sang-froid, contourne ce champ de bataille et continue à descendre la route escarpée.  Une fois la vallée passée, il nous reste encore une centaine de kilomètres sur des routes en terre battue totalement inondées.

Au loin, une file de truffi  et de bus se fige devant nous. L’attente est interminable : deux heures sans bouger d’un centimètre. Je décide donc de quitter le véhicule pour voir ce qu’il se passe. Résultat, un camion est enlisé et bloque toute la route des deux côtés. Une rivière s’est formée au milieu de la route, rendant l’opération d’extraction assez périlleuse.  Après une longue attente, une grue arrive enfin au secours du camion, et s’enlise à son tour…
Une masse considérable de personne commence à se former autour de l’évènement. C’est alors que nous décidons de pousser la grue afin de la dégager. Finalement, c’est avec succès que nous dégageons la grue, qui elle-même, après un combat acharné, dégagera le camion à son tour.
J’arrive enfin dans la ville inondée après 12 h de trajet pour un total de 200 kilomètres parcourus.

Mon carnet de route se termine. Les amis ont été nombreux, que ce soit dans les villes ou dans les campagnes. Ils m’ont tous donné le gout à l’Amérique Latine. En fin de compte, c’est peut-être grâce à toutes ces rencontres que le projet Cycling-Togeth’Earth est né.

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